Morandi e Fontana. Invisibile e Infinito

Bouteilles, carafes, petits pots, cafetières, boîtes en fer-blanc, collines baignées de soleil, fermes, routes de campagne, bâtiments et cours — voici les sujets des œuvres de Giorgio Morandi présentées dans l’exposition. Des natures mortes faites de couleur et de lumière. Des paysages contemplés à distance, des murs réchauffés par le soleil d’été, des constructions qui semblent se dissoudre comme cendre au vent.

Objets du quotidien et espaces domestiques, lieux simples et familiers qui ressurgissent éternels, immortels, insensibles à l’usure du temps et à la disparition. Leur présence éternelle tient au fait qu’ils renferment à la fois le visible et l’invisible. Le visible recule jusqu’au domaine de l’invisible, et l’invisible à son tour envahit et éclaire le visible dans les objets et les paysages.

Le temps semble ralentir, puis s’arrêter. Les sensations se déroulent lentement, avec une intimité et une intensité mystérieuses. La réalité des choses, dans la peinture de Morandi, a changé de texture, d’épaisseur, de poids et de luminosité grâce à sa maîtrise technique et à sa sensibilité métaphysique. En résulte une substance nouvelle, qui n’appartient ni au monde réel, ni à celui du symbole.

Les œuvres de Lucio Fontana, avec leurs entailles, ouvrent une fenêtre sur l’immensité — le vide derrière la toile, qui révèle l’infigurabilité de l’espace et du temps infinis. Ces œuvres renoncent à toute illusion optique et à toute reproduction du réel pour s’ouvrir à l’imagination de l’infini. Fontana crée une double vertige : conceptuelle et perceptive. L’infini se resserre entre les bords de l’entaille, tandis que notre finitude plonge au-delà des limites de la représentation.

Devant cette surface blanche — telle une page vierge — toute illusion figurative est niée, ainsi que toute référence à l’histoire de l’art ou à la vie réelle. L’esprit est alors libre de se perdre dans la contemplation de l’infini. Le geste de Fontana est aussi radical que courageux : entailler la toile pour permettre à l’esprit de faire un pas virtuel au-delà de l’espace, en franchissant les limites physiques et culturelles, pour imaginer — et même ressentir — l’illimité.

Chez Morandi, il s’agissait de resserrer les mailles du langage pictural jusqu’à rendre phénoménologique l’invisible. Fontana, lui, a réduit tout potentiel figuratif à un geste — une entaille — qui voulait être absolu, mais non définitif. Le seul geste possible pour ouvrir une brèche vers l’infini, un pas irréversible vers la liberté de l’art.

Une confrontation entre deux phares de l’art italien du XXe siècle, si différents dans leur rapport à la vie et à la création, mais tous deux exemplaires dans leur quête de dépassement des limites du regard.
Morandi, en dépassant la surface la plus opaque du langage figuratif pour atteindre l’invisible ; Fontana, en brisant l’illusion de la toile pour faire entrer l’infini dans l’espace concret d’une entaille ou d’un trou.

Deux artistes qui, selon l’expression de Cicéron pour les grands noms, habitent depuis longtemps notre regard collectif, et qui ont indéniablement changé notre manière de voir le monde et de penser l’art. Ces dernières décennies, ils sont devenus des références incontournables pour les artistes du monde entier, offrant chacun à sa manière matière à réflexion et inspiration.